Génocide au Rwanda : le rôle de la France

Article rédigé par Cosme Lorizon

Alors que nous commémorons ce week-end le trentième anniversaire du début des massacres perpétrés contre les Tutsis au Rwanda, Emmanuel Macron a déclaré ce 4 avril que « La France aurait pu arrêter le génocide mais n’en a pas eu la volonté ». Il n’en fallait pas plus pour que le Président de la République se fasse tancer par les militaires, les diplomates et les hommes d’État qui ont vécu et fait cette période et qui lui reprochent une posture de repentance à répétitions après de premières déclarations en 2021. Ces derniers arguent que la France, en amont du génocide, par les accords d’Arusha du 4 août 1993, puis, en aval du début des massacres, par l’opération Turquoise du 22 juin 1994, a tout fait pour empêcher, prévenir, et circonscrire le génocide. S’il est facile de nos jours, avec le recul, les faits et le déroulé des événements en main, de distribuer les bons et les mauvais points, de pointer les défaillances et de critiquer la position de nos diplomates, de nos militaires et de nos politiques, il est aussi nécessaire de se replacer dans le contexte de l’époque. Nonobstant ce contexte, les autorités françaises ont tout de même une part de responsabilité importante au moins sur la durée et l’ampleur des massacres. 

Tout d’abord, la France a soutenu pendant 20 ans (de 1975 à 1994) le régime dictatorial et ethniciste de Juvénal Habyarimana en lui fournissant du matériel militaire, en formant les officiers du régime, en aidant financièrement et diplomatiquement le gouvernement ainsi qu’en déployant des aides logistiques et politiques (notamment des conseillers en Cabinet) au Rwanda. Ce soutien n’était cependant pas inconditionnel et le discours de la Baule de François Mitterand le 20 juin 1990, qui a mis la pression sur cet allié embarrassant, a permis de limiter les massacres dans le premier temps de la guerre civile rwandaise débutée le 1er octobre 1990. De plus, les accords d’Arusha qui visaient à obtenir un règlement politique du conflit entre l'État rwandais et le FPR de Paul Kagame (actuel Président de la République du Rwanda) ont été organisés et signés sous l’égide de la France qui a mobilisé sa diplomatie pour le retour à la paix dans la région. Néanmoins, la mort du président Habyarimana dans le crash de son avion le 6 avril 1994, probablement causée par ses alliés les plus radicaux, porte au pouvoir Jean Kambanda, un génocidaire qui assumera et revendiquera tous les actes commis par son gouvernement. Dès le 7 avril, les massacres commencent. Le 8, la France rappelle tous ses conseillers militaires et diplomatiques et cesse les livraisons d’armes.

Dans un second temps, de début avril à mi-mai 1994, alors que le génocide faisait rage, la France est restée silencieuse. Il faut attendre le 18 mai 1994 pour qu’Alain Juppé, alors Ministre des Affaires Étrangères de la deuxième cohabitation déclare à l’Assemblée Nationale que « les troupes gouvernementales rwandaises se sont livrées à l’élimination systématique de la population tutsie », évoquant pour la première fois le mot de « génocide ». La France intervient ensuite sur le plan militaire avec l’opération Turquoise (autorisée par la résolution 929 du Conseil de sécurité de l'ONU) le 22 juin 1994 qui a pour mission de « mettre fin aux massacres partout où cela sera possible, éventuellement en utilisant la force. » Cette opération est critiquée, d’une part car elle arrive près de trois mois après le début des massacres et la mort de 700.000 personnes et ensuite parce que les militaires français, par incompétence ou par manque de moyens laissent s’échapper les génocidaires qui ne seront arrêtés que des mois après. S’il est vrai que cette opération est tardive, elle permet cependant de mettre un terme au génocide.

Ce délai entre le début du génocide et l’intervention militaire française résulte du souhait de François Mitterand et Édouard Balladur (à l’époque Premier Ministre de cohabitation) de respecter le droit international et de n’intervenir que dans le cadre de l’ONU afin de se prémunir de procès médiatiques et politiques en néo-colonialisme. Encouragée par Hubert Védrine, secrétaire général de l’Élysée et personnage clé de la diplomatie mitterandienne, cette méthode sera corrigée ensuite par le même Hubert Védrine en 2000, devenu Ministre des Affaires Étrangères de la troisième cohabitation, par la mise en place du « protocole Védrine » qui préconise d’intervenir militairement (y compris aux risques de ne pas avoir de mandat de l’ONU) le plus tôt possible et d’accepter les procès d’intention en néo-colonialisme ; une doctrine que François Hollande respectera en intervenant le 11 janvier 2013 par l’opération Serval à la demande du Gouvernement malien pour bloquer l’avancée des terroristes d’AQMI vers Bamako

Ainsi, le coupable aveuglement des plus hautes autorités de l’État quant à la réalité de ce qui se passait au Rwanda a permis aux autorités rwandaises de poursuivre pendant de longues semaines leur projet génocidaire. D’autre part, la prudence sous forme de lâcheté des autorités politiques et l’effacement de leurs devoirs historiques qui passent par des décisions difficiles et impopulaires au profit de la protection offerte par le droit international a conduit à faire durer une opération génocidaire qui aurait en effet pu être stoppée plus tôt à condition d’accepter les remontrances postérieures de ceux que la France aurait pu sauver. La France a failli, elle a manqué à ses devoirs par cécité et par lâcheté. La moindre des choses aujourd’hui est donc d’accepter ces erreurs, de les comprendre et de les analyser pour que jamais plus notre pays ne viole ses obligations morales.

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