Relations franco-chinoises : tensions diplomatiques sous les fastes du protocole

Article rédigé par Cosme Lorizon et Louise Magna

En cette année 2024, la France et la Chine célèbrent le 60e anniversaire de l’établissement de leurs relations diplomatiques. Malgré les rares visites de Xi Jinping en Europe depuis la période du Covid (2019), la France l’a accueilli du 5 au 7 mai 2024. Pour cette occasion, le ministre français des Affaires étrangères, Stéphane Séjourné, s’est avant rendu à la capitale chinoise, Pékin, où il a rencontré son homologue Wang Yi et le premier ministre, Li Qiang. Des sujets bilatéraux (économie, échanges culturels…) et multilatéraux (Ukraine, Proche-Orient) ont été abordés.

 

Des “messages très clairs” à Moscou 

 

Depuis la guerre en Ukraine, en février 2021, la Chine communiste n’a jamais condamné les violences provoquées par la Russie. Au contraire, elle a renforcé ses liens avec Moscou et se rallie aux Russes, ignorant les contestations occidentales. Dans un contexte économique intérieur chinois difficile, le ministre français incite alors la Chine à plaider un “rapport de force favorable à l’Ukraine”. De la même façon, la France encourage un cessez-le-feu immédiat au Proche-Orient, suite au veto de la Chine à l’ONU en mars dernier. Afin de garantir une paix durable, la France élabore donc un compromis entre Israël et Palestine.

 

En compagnie du Premier ministre chinois, la France exprime une volonté de rééquilibrer les échanges franco-chinois. En effet, face à un net ralentissement des investissements étrangers en Chine, la France encourage des échanges qui reposent sur une “base saine et durable”, s’opposant à un découplage avec l’Empire du milieu. Les sujets climatiques sont également revenus à la surface dans le but de travailler dans la continuité du Pacte de Paris pour la planète et les peuples. 

 

Enfin, Stéphane Séjourné a inauguré à Pékin l’exposition “La Cité interdite et le château de Versailles ”. Une soixantaine d'œuvres d’arts et d’objets précieux (vases, tableaux, épouvantails…) y sont présentées jusqu'à fin juin, rappel des cadeaux diplomatiques, échangés entre les rois français et les empereurs chinois de l’époque. Cet événement illustre concrètement le futur des relations sino-française, comme le résume Christophe Leribault, président du château de Versailles : « la culture rapproche les peuples ».

 

 

La célébration des 60 années de collaboration sont présentées par une nouvelle exposition culturelle, suivant celle de 2015, avec des pièces exceptionnelles venant du château de Versailles. Malgré ces échanges, les tensions persistent notamment au sein des rassemblements internationaux à l’ONU.





Entre les désaccords sur le cognac, les voitures électriques et l'Ukraine, le dîner d’État offert en l’honneur de Xi Jinping le lundi 6 mai est loin d’avoir été une partie de plaisir pour Emmanuel Macron dont l'objectif est précisément de relancer le dialogue sur les sujets de tensions. La pompe et le cérémoniel qui accompagnent une visite d’État, plus haut statut protocolaire des déplacements diplomatiques, sont quelque peu assombris et ternis cette fois-ci, à l’image des liens entre les deux puissances. Si les relations entre la France et la Chine sont loins d’avoir été au beau fixe au cours des 60 dernières années et la reconnaissance, le 27 janvier 1964, de la République populaire et du régime de Mao Zedong par le Général de Gaulle (reconnaissance dont la commémoration est le prétexte de la visite), l’horizon de coopération s’assombrit en raison des désaccords économiques et politiques entre Pékin et Paris. C’est la troisième fois depuis son arrivée au pouvoir, en mars 2013, que le Président Xi est accueilli dans l’Hexagone après deux séquences plus protocolaires, dont un dîner d’État à Versailles 2014. Pour sa première tournée en Europe depuis le Covid-19, le leader chinois le plus puissant depuis Mao, s’est ensuite rendu en Serbie et en Hongrie, un message en creux à l’Union européenne alors que ces régimes sont sources d'irritation pour Bruxelles.


Un lundi matin centré sur les relations économiques


Si le président chinois a atterri le dimanche 5 mai après-midi à Orly, accueilli par le Premier Ministre Gabriel Attal, la visite n’a réellement commencé que le lundi matin. Accueilli à 11 heures au Palais de l’Élysée par un Président de la République qui a souhaité aborder sans attendre les nombreux différends commerciaux qui opposent la Chine à la France, Xi Jinping a été pareil à lui-même, imperturbable et inflexible, en témoigne l’absence de déclaration conjointe sur le sujet des véhicules électriques, pourtant mit en avant par Paris. Le renfort de la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, venue épauler le Président français, n’a pas suffi pour faire plier le prince rouge. La dirigeante européenne a prévenu que Bruxelles prendrait « des décisions fermes » pour « protéger son économie », dénonçant l'afflux de véhicules électriques chinois massivement subventionnés. « Le soi-disant problème de la surcapacité de la Chine n'existe pas » a répliqué Xi Jinping, coupant court à la discussion. En début d’après-midi, les deux chefs d’État ont traversé la rue pour prononcer le discours de clôture des rencontres économiques franco-chinoises. À 15 heures, une grande cérémonie d’accueil comprenant un honneur au drapeau, les deux hymnes et un passage en revue des troupes a été organisée à l’Hôtel des Invalides, pour célébrer comme il se doit 60 années de relations diplomatiques, lancées par la reconnaissance de la Chine de Mao en 1964 par le général de Gaulle, l’un des tout premiers à faire ce geste vis-à-vis d’un régime alors isolé.


Un lundi après midi sur les enjeux du monde


De retour à l’Élysée vers 16 heures pour une réunion bilatérale à laquelle était conviée plusieurs ministres, chinois comme français, Emmanuel Macron avait décidé d’élargir les discussions aux enjeux mondiaux et notamment à la question des conflits en Ukraine et au Proche-Orient. Obtenant de Xi Jinping une déclaration conjointe sur les enjeux au Proche-Orient et une autre sur la gouvernance des enjeux globaux, la diplomatie française estime avoir au moins sauvé la face bien que la très attendue condamnation de l’agression russe en Ukraine de la part de Pékin devra encore attendre. Le Président Xi a également emboîté le pas à l'initiative française, vouée cependant à l’échec, de trêve olympique sur tous les théâtres de guerre. En fin d’après-midi, la conférence de presse conjointe, si elle a été l’occasion d’annoncer la signature de 18 accords commerciaux et d’une dizaine d’accords politiques, a surtout été un moyen de mesurer les dissensions entre la France et la Chine, autant dans leur posture que dans leur message, Emmanuel Macron et Xi Jinping ont étalés aux yeux du monde leurs désaccords comme le souligne l’incartade du Président français à propos des droits humains en Chine. 


Le dîner d’État : temps fort de la visite


Après un passage au Peninsula, palace de l’avenue Kléber où loge, comme en 2019, la délégation chinoise, s’ouvrit la somptueuse séquence du dîner d’État au Palais de l’Élysée. Entre la chair de tourteau et le suprême de poulette de Bresse, Emmanuel Macron est remonté à l’assaut de Xi Jinping et a obtenu de lui un accord sur la coopération agricole. Sous les ors de l'Élysée, les toasts portés à l'amitié qui lie les deux pays furent sans doute les moments les plus tendres de cette visite « Notre amitié immémoriale n'a de sens que si elle prête main-forte à l'humanité tout entière », a déclaré Emmanuel Macron. « Ce n'est que par la multiplication des échanges et des interactions que nous pourrons bâtir plus de convergences », a affirmé de son côté Xi Jinping. Dans la salle, étaient présents des dirigeants des plus grands groupes industriels comme Bernard Arnault (LVMH), François Pinault (Kering), Benjamin Smith (AirFrance), les dirigeants de groupes automobiles Luca de Meo (Renault) et Carlos Tavares (Stellantis), des personnalités du monde de la culture comme Luc Besson, Jean-Michel Jarre ou l'actrice sino-singapourienne Gong Li et des personnalités politiques comme Jean-Pierre Raffarin, grand promoteur des relations sino-françaises.


Mardi : la touche personnelle


Le lendemain, mardi 7 mai, le président français a convié son homologue chinois au Col du Tourmanet dans les Pyrénées, ascension mythique du Tour de France cycliste, où Emmanuel Macron se rendait pendant son enfance. Une séquence qui semble faire écho à la cérémonie du thé qu'ils avaient partagée l'an dernier à Canton, dans la résidence officielle où vécut le père du président chinois. Cette escapade « personnelle » devait permettre un dialogue plus direct sur les sujets de tension, en particulier la guerre en Ukraine ou les désaccords commerciaux. Néanmoins, le Président Macron s’est de nouveau retrouvé face à un mur d’airain sans prise et n’a obtenu aucune concession ni dans les actes ni dans les mots de la part du maître de la Cité Interdite. À l’image du temps capricieux des Pyrénées, cette visite d’État a fini sur le tarmac de l’aéroport de Tarbes comme elle avait commencé, le fastueux vernis diplomatique ne suffisant pas à masquer les divergences stratégiques irréconciliables entre l’Empire du milieu et la France.


Conclusion


Alors que des voix se sont élevées contre le principe même de cette visite, reprochant à la diplomatie française d’accueillir avec un faste démesuré un tyran qui bafoue les droits humains ou un adversaire stratégique et économique ; il convient de rappeler que le principe même de la diplomatie est de faire discuter des nations et des représentants qui n’ont parfois rien en commun. Le cadre d’une visite d’État plutôt qu’une visite officielle permet d’une part de montrer l’estime historique pour la nation reçue au-delà des dissensions ou des régimes présents. Elle permet d’autre part de tisser un lien personnel entre les deux dirigeants, ce qui compte dans les relations bilatérales mais surtout durant les sommets multilatéraux. Néanmoins, la visite du Président Xi reste teintée d’amertume. De tous les sujets mis en avant par la diplomatie française, seuls la coopération agricole s’est vue gratifiée d’un accord garantissant l’exception de surtaxe sur cognac français en Chine ; renvoyant à d’autres les discussions sur la voiture électrique, sur le conflit en Ukraine (sur lequel la Chine s’arc-boute à refuser le diktat occidental) et sur les enjeux climatiques. Resteront au moins les photos et les avancées comme les 28 accords économiques et politiques signés. Cette visite a montré enfin et surtout que le rapport de force est déséquilibré entre la deuxième puissance mondiale et la France, qui est vue par les Chinois comme un « tout petit pays au bout de la carte » contredisant l’idée que la France serait un partenaire privilégié de la Chine, en effet c’est l’Allemagne qui endosse davantage ce rôle aux yeux de Pékin.

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Article rédigé par Marc-Antoine Gosset